Auteure : Cynthia Enloe
Titre : Armées, bananes, confection… – Une analyse féministe de la politique internationale
Genre : essai
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Caroline Sordia
Parution : 26 février 2019
ISBN : 979-10-94791-22-6 (broché)
Prix : 27 € (broché)
Le monde serait-il ce qu’il est si on rayait la moitié des êtres humains de la carte ? La question paraît absurde, mais la reconnaissance de la place et des rôles tenus par les femmes est encore presque nulle dans la plupart des analyses de politique internationale.
Cependant, comment le secteur du tourisme fonctionnerait-il sans les femmes ? Comment comprendre les évolutions du commerce de la banane ou de la confection sans tenir compte de la place que les femmes y occupent ? Sans les femmes, les valeurs du nationalisme, les bases militaires ou la diplomatie seraient-elles identiques ?
Accessible à un large public, au-delà des seuls cercles de spécialistes, l’ouvrage montre, à partir d’exemples très concrets et variés, comment une approche féministe incluant les questions de genre modifie en profondeur notre appréciation des enjeux internationaux : sans prêter une attention suffisante aux femmes et à leurs rôles dans le monde, on ne peut pas comprendre précisément comment s’exerce le pouvoir – et à quelles fins.
Cynthia Enloe est connue dans le monde entier pour ses nombreuses contributions, depuis les années 1980, à une vision renouvelée de la politique internationale. En introduisant une « curiosité féministe » dans un domaine où régnait un consensus sans faille – et très masculin –, elle a ouvert des voies fructueuses de réflexion et d’action. Armées, bananes, confection… est son deuxième ouvrage publié en français, après Faire marcher les femmes au pas ? (Solanhets, 2016).
Extrait
La plupart d’entre nous – et c’est bien compréhensible – préféreraient penser que l’attrait de la réclame publicitaire de telle ou telle entreprise est culturel, et non politique. Nous voudrions croire qu’aller en vacances en Jamaïque plutôt qu’en Égypte relève purement du domaine social, voire esthétique, et non du choix politique. Beaucoup de femmes et d’hommes préféreraient également penser les relations sexuelles comme confinées dans l’espace intime du désir et de l’attirance individuelle, protégées de toute manipulation politique. Et pourtant, les dirigeants d’entreprise choisissent certains logos plutôt que d’autres pour faire appel aux stéréotypes de certaines féminités racialisées chez les consommateurs. Les agences gouvernementales construisent une image marketing autour de la beauté – ou de la serviabilité – présumée des femmes de leur pays pour générer des recettes touristiques bien utiles. Pour renforcer certains fondements de l’« ordre social », les parlementaires échafaudent des lois spécialement destinées à punir certaines formes d’attirance sexuelle et, simultanément, à en encourager d’autres. Le pouvoir, le goût, l’attirance et le désir ne s’excluent pas mutuellement.
Si l’on ne prête pas suffisamment attention aux femmes – à toutes sortes de femmes –, on ne pourra pas comprendre qui exerce du pouvoir et à quelles fins. Telle est l’une des principales leçons de la recherche féministe en relations internationales.
Le pouvoir transcende les frontières. Songez seulement à la dynamique de pouvoir des relations conjugales. Quelle sorte de mariage de qui avec qui est reconnue par quels gouvernements, et dans quel but ? Pour répondre à cette question aux multiples angles d’approche, il faut se pencher attentivement sur le pouvoir. Il faut chercher à comprendre qui a le pouvoir de décider qu’un citoyen de sexe masculin peut épouser une femme ou un homme d’un autre pays, et donner par là sa propre nationalité ou citoyenneté à son époux ou épouse, alors qu’une femme épousant une personne d’un autre pays ne pourrait pas le faire. Ceux qui ont accès au pouvoir politique en font usage pour contrôler les mariages, car les relations conjugales entre personnes du même sexe ou de sexe opposé affectent les migrations transnationales et l’accès aux privilèges de la citoyenneté conférée par l’État. Le mariage, c’est politique. Et c’est international. (…)
L’un des principaux bénéfices intellectuels que l’on tire de l’observation attentive de la place des femmes dans la politique internationale – ainsi que de la manière dont elles sont arrivées à cet endroit et de ce qu’elles pensent de cette situation –, c’est qu’elle met au jour à quel point le pouvoir politique s’exerce bien plus intensément que la plupart des experts dépourvus de curiosité féministe voudraient nous le faire croire.