La Solitude des méduses

Le Silence des méduses

Auteure : Iria Collazo López

Titre : La Solitude des méduses

Genre : nouvelles (96 p.)

Traduit du galicien par Vincent Ozanam

 

Parution : 27 février 2018
ISBN : 979-10-94791-16-5 (broché)
Prix : 10 € (broché)

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On peut croiser la solitude pour beaucoup de raisons : parce qu’on a recherché le calme pour écrire tranquillement dans un immeuble désert ; parce que l’âge vous cloue sur une chaise roulante alors que l’on a passé sa vie à voyager pour regarder le monde ; parce qu’on tourne dans sa tête des pensées obsessionnelles qui vous séparent des autres ; parce qu’une visite à un parent dans une chambre d’hôpital fait ressortir tout un passé enfoui… Ou bien simplement, comme une méduse flottant seule dans un aquarium sous les yeux écarquillés d’une petite fille égarée dans la ville, on peut voguer au gré du courant de la vie, sans bien savoir pourquoi.

La finesse de la construction et le recours à des thèmes et des personnages récurrents – qui s’échangent, se répondent et se mêlent au fil des différentes nouvelles – confèrent à ce recueil une unité véritable et profonde. Cette cohérence se voit encore renforcée par une écriture précise et néanmoins souvent presque lyrique, où la dimension symbolique permet d’évoquer avec une distance bienvenue, mais sans aucune pesanteur, des questions qui se posent dans la vie de toute personne.

Née en 1981, Iria Collazo López vit près de Vigo (nord-ouest de l’Espagne), où elle enseigne la langue et la littérature galiciennes. Après un premier roman très bien accueilli en 2015 par le public et la critique, elle a publié fin 2016 le présent recueil de nouvelles, qui a figuré en tête des listes des meilleures ventes du printemps 2017 en Galice.

Extrait

Eva Louro vivait avec sa mère, brune, à la chevelure rêche comme la terre qu’elle s’efforçait de travailler jour après jour en un combat inégal contre les éléments : d’un côté, le vent balayait les sillons en les comblant à nouveau, empêchant que n’apparaisse sur cette plane surface presque stérile le moindre moutonnement ; de l’autre, le soleil qui lui brûlait la peau des joues et des épaules détruisait tout signe de vie qui aurait été exubérant ou trop voyant. Et, durant ces jours où la terreur secouait l’estomac d’Eva Louro, la petite se tapissait dans les jupes grises et poussiéreuses de sa mère, même si elle comprit bientôt la vanité d’une telle cachette. (…)
Elle ignorait que les gens du pays tressaillaient à la vue de son aspect misérable, quand elle les observait derrière la grille rouillée qui, en quelque moment du passé, avait prétendu faire office de protection pour la maison. Elle serrait de ses mains minuscules les barreaux et regardait circuler les voitures et les rares personnes qui avaient décidé de passer par là, faisant fi de la chaleur sale et des molécules de poussière en suspension qui s’introduisaient dans son nez et avaient parfois une odeur comme de soufre. Et elle ne variait jamais son expression réservée, percevant avec un léger sourire et des yeux énormes le monde qui se déroulait de l’autre côté du grillage. Quand Maman finissait de travailler, elle lui posait la main sur la nuque et elles se dirigeaient vers l’intérieur de la maison.
Tout changeait lorsque la brise devenait vent, et la tranquillité se transformait chez Eva Louro en une angoissante et répugnante attente. Maman cessait de chanter et se déplaçait à une vitesse beaucoup plus élevée. Et elle avait toujours l’air de guetter quelque chose. Eva Louro ne comprenait pas vraiment si elle attendait ce qui finissait toujours par se produire, ou si c’était peut-être précisément parce qu’elle l’attendait que cela se produisait. C’était à chaque fois pareil. La grille de fer rouillé grinçait et un violent coup frappé à la porte les faisait sursauter sur leur chaise. Maman l’enfermait dans sa chambre et lui demandait, au nom de ce qu’elle avait de plus cher, de ne faire aucun bruit. Pour elle, ce n’était pas difficile : elle s’asseyait par terre, prenait les poupées faites des rares épis de maïs que la terre donnait et leur faisait des nattes jusqu’au moment où le vent se calmait. Normalement, cela durait une ou deux nuits. Si la faim pointait le nez, elle dormait. Maman la prévenait toujours quand tout était fini. Elle apparaissait fatiguée et la chevelure défaite, sa chemise de nuit tachée et des blessures aux bras. Elle ne lui expliquait jamais rien, et la fillette ne savait pas non plus qu’elle aurait pu demander une explication.