Au camp d’Agramant

Au Camp d'Agramant

Auteur : José Manuel Caballero Bonald

Titre : Au camp d’Agramant

Genre : roman (320 p.)

Traduit de l’espagnol par Vincent Ozanam

 

Parution : février 2016
ISBN : 979-10-94791-00-4 (broché)
Prix : 19 € (broché)

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D’une grande sensibilité à la mer, aux arbres, aux oiseaux, au fleuve voisin et à ses habitants, un garçon est la proie d’un étrange processus pathologique où se mêlent vie quotidienne et hallucinations auditives, occupations routinières et événements irrationnels. Les croisements incessants entre la réalité la plus tangible et les expériences apparemment délirantes du personnage introduisent dans le récit une tension psychologique permanente, gommant tout repère clair entre fiction et souvenir, imagination et mémoire.

Né en Andalousie en 1926, José Manuel Caballero Bonald est considéré comme l’un des plus importants écrivains espagnols de la seconde moitié du XXe siècle. D’une profonde exigence esthétique, son œuvre s’est partagée entre poésie et romans. Au cours de sa longue carrière, il a reçu de très nombreux prix, dont le Premio Cervantes (le « Nobel hispanique ») en 2012.

Extrait

L’oncle Leonardo m’avait dit de rester dans l’abri où la scie mécanique avait été provisoirement installée et de ne pas en sortir jusqu’à son retour. Et je n’en étais pas sorti ou juste pour fureter un peu aux alentours. La scie — qui ne fonctionnait pas à ce moment-là — était constellée de rouille et ses rouleaux latéraux laissaient voir des taches graisseuses, comme une suppuration qui se serait peu à peu encroûtée et colorée de noir à mesure qu’elle se répandait. Il y avait des madriers équarris et des troncs à l’état brut empilés de toutes parts. Je m’occupais en grattant de la pointe de ma chaussure au milieu de la sciure logée dans les crevasses du sol, lorsque j’entendis soudain le vacarme d’un arbre qui s’abattait en s’ouvrant un passage à travers l’épaisseur de la frondaison, une énorme griffure de branches éclatées et comme dispersées par de lentes impulsions le long de la trouée. Les planches du fond m’empêchaient de voir, mais j’attendis, sans aucun motif apparent, que le bruit s’éteigne pour me pencher au dehors, et c’est à cet instant que je vis l’arbre s’effondrer. Je supposai d’abord que c’était sans doute un autre pin que l’on avait scié presque simultanément, mais celui de maintenant s’écroulait sans le moindre chaos végétal attendu, il tombait avec un empressement silencieux sur la terre, soulevant seulement à la fin un nuage insonore de poussière et de brindilles fendues. Je n’avais pas encore médité sur le fait évident que j’avais déjà entendu auparavant ce fracas. Je n’estimai pas non plus opportun à ce moment-là de raconter la chose à quiconque, surtout parce que je ne savais pas si j’avais réellement entendu tomber l’arbre trop tôt, et parce qu’il y avait toutes les chances que je ne réussisse à rien expliquer précisément de ce qui était arrivé. Il y avait peut-être un écho étrange dans l’abri et le retentissement d’un autre arbre déjà abattu était resté attrapé là sans trouver la sortie. Mais cela ne me semblait pas non plus une explication acceptable. De sorte que je commençai à me sentir assez agité, comme si une turbulence acoustique s’était divisée en de multiples filaments à l’intérieur de ma tête, m’obstruant certains raccourcis de la raison.